Un bien bel ouvrage que « The myths of innovation » de Scott Berkun. La beauté n’est pas dans la présentation – très sobre – mais dans la richesse et la pertinence du contenu.
En avant pour un tour commenté des 10 mythes, chacun correspondant à un chapitre.
- La magie de l’épiphanie
- On croit connaître l’histoire de l’innovation
- Il y a une méthode pour innover
- Les gens adorent les nouvelles idées
- L’innovateur solitaire
- Pas facile de trouver de bonnes idées
- Votre boss en sait plus que vous
- Les idées qui triomphent sont les meilleures
- Problèmes et solutions
- L’innovation n’a que des avantages
1. La magie de l’épiphanie
Nous aimons bien les histoires à l’eau de rose y compris lorsqu’il est question d’innovations. Ainsi, lorsqu’une idée est couronnée de succès, on est souvent enclin à magnifier sa genèse.
- Lorsque la fameuse pomme est tombée sur la tête de Newton, celui-ci était très certainement déjà préoccupé par la gravité depuis belle lurette.
- Tim Berners-Lee, considéré comme l’inventeur du World Wide Web, rapporte que les journalistes sont généralement frustrés lorsqu’ils apprennent qu’il n’y a pas eu de moment magique ou d’Euréka dans la mise au point de l’internet. Cette technologie a vu le jour grâce à des recherches et des trouvailles successives.
- Certains vont jusqu’à jouer le jeu pour les besoins de leur cause. L’un des fondateurs d’eBay a longtemps affirmé que l’entreprise avait été créée un peu par hasard, pour satisfaire un besoin privé : l’achat et la vente de distributeurs de bonbons PEZ. Apparemment, l’histoire a été inventée pour capter l’attention des médias !
D’une certaine manière, l’auteur remet en question la sérendipité (faire de découvertes par hasard) et aussi notre société du sensationnel, du show, de l’instantané, etc.
« Aux Etats-Unis, les innovateurs deviennent facilement des héros parce les gens préfèrent croire et raconter des histoires positives plutôt que des vérités moins intéressantes et plus difficiles à comprendre. » (dixit l’auteur)
2. On pense connaître l’histoire des innovations
Ce second mythe est très proche du premier. Il vise notre propension – et dans une certaine mesure celle des historiens – à ultra-résumer les origines des (grandes) innovations pour n’en retenir que de maigres synthèses. Exemples :
- Qui inventa l’imprimerie ? Guttenberg ? Oui et non si l’on tient compte que des chinois avait accompli des progrès similaires 500 ans plus tôt.
- Il n’est pas rare d’entendre que Google est l’inventeur le moteur de recherche alors qu’il n’a fait « que » de l’améliorer et continue à le faire.
3. Il y a une méthode pour innover
A chaque époque ses croyances. Au moyen-âge, on cherchait la formule pour transformer le plomb en or. Aujourd’hui et pour le domaine qui nous concerne, on serait tenté de croire qu’il existe une – et une seule – bonne méthode pour innover avec succès.
C’est le mythe de la recette secrète amplifié entre autres par les success stories, vraies ou fausses, pointées par le mythe de l’épiphanie. Il n’y a pas de méthode absolue, il n’y a que des ingrédients universels : volonté, temps et opiniâtreté (échouer et recommencer).
4. Les gens adorent les nouvelles idées
Pas exactement. L’affirmation correcte est : les gens adorent les nouvelles idées qui leur (r)apportent quelque chose ou qui, à tout le moins, ne leur font courir aucun risque particulier. D’où paradoxe : plus une idée est valable et révolutionnaire, moins il y a de candidats pour l’adopter. Une idées innovante est rarement rejetée à cause de sa valeur absolue mais plus souvent à cause des risques qu’elle fait courir.
5. Le mythe de l’innovateur solitaire
Les grandes innovations s’obtiennent par associations d’idées et par cumul de découvertes d’autres personnes ou organisations. Pour prendre un exemple, la formule scientifique la plus célèbre au monde – E = MC2 – n’a pas été le fruit du travail d’un seul individu en l’occurrence Einstein. La réunion du E (énergie), du M (masse) et du C (vitesse de la lumière) a été possible grâce aux efforts d’autres chercheurs.
6. Pas facile de trouver des bonnes idées
En gardant les bras croisés, c’est effectivement très difficile de dénicher de bonnes idées. Être créatif est avant tout une question de curiosité, d’ouverture d’esprit, d’attitudes, de persévérance. Savez-vous que le WD-40 (anti-rouille) doit la dernière partie de son nom au nombre de tentatives nécessaires à sa mise au point.
7. A propos de l’innovation, votre boss en sait plus que vous
Ce n’est pas toujours agréable à admettre mais « autorité » et « statut » ne sont pas synonymes de « talent ». Être chef peut vouloir dire qu’on applique mieux les règles, qu’on a plus d’expériences ou de connaissances que ses subalternes. Mais ce n’est pas un passeport automatique pour une imagination fertile.
Le pouvoir, résumé à l’extrême, c’est avoir le choix de répondre par « oui » ou par « non ». Lorsque le projet de développer et de commercialiser un ordinateur portable a été présenté au comité de direction de Toshiba, ce dernier a répondu par « non ». Le responsable du projet y croyait si fort qu’il a dit « oui » à son équipe et, à force d’insister, a réussi à convaincre ses supérieurs.
8. Les idées qui triomphent sont (forcément) les meilleures
Une certaine logique voudrait que la meilleure solution l’emporte toujours. C’est le cas pour autant qu’on relativise la notion de « meilleure solution ». Celle-ci est généralement un arbitrage entre différents facteurs (culture, attentes du marché, coûts, intérêts économiques en jeu, etc) où les détails jouent parfois un rôle important.
- Vous connaissez la lutte des formats vidéos où, semble-t-il, le moins bon (VHS) l’a emporté pour une raison toute simple : la capacité-durée d’enregistrement.
- Pourquoi utilisons-nous encore un clavier AZERTY qui ne correspond à rien de logique et quand des alternatives existent déjà depuis quelques années ? Imaginez les impacts (financiers, pratiques, …) de l’adoption d’un autre modèle !
9. Problèmes et solutions
« Découvrir des problèmes demandent autant de créativité que pour découvrir des solutions. »
Le problème avec le mot « problème » est qu’il est généralement vu ou entendu dans le sens « Houston, nous avons un problème« . Dans de nombreux contextes – moins stratégiques que le retour sur terre d’une mission spatiale – un problème devrait être perçu comme un appel à solution. Edison excellait dans ce domaine. Il analysait des technologies existantes, détectait leurs imperfections, cherchait à les améliorer, les améliorait et déposait des brevets.
10. L’innovation n’a que des avantages
C’est vrai pour la majorité quand certaines ont un côté pile-positif et un côté face-négatif : les armes, les avions, l’énergie nucléaire, etc. Le problème ne se posera plus dès que l’homme aura appris à vivre en paix, dans le respect de tous ses congénères. Autant dire jamais !
S’il fallait garder une phrase-clé de cet ouvrage :
« We want creativity to be like opening a soda can or taking a bite of sandwich. »
Adaptée en français :
« Créativité ? Oui si c’est aussi simple que d’ouvrir une canette de soda. Dans le cas contraire, non merci !«
Pour rester dans le même contexte : 9 inéquations de l’innovation.